Une journée à la ferme
8h30 : Réveil. Yoga rapide sur le sol de la cabane, qui nous abrite depuis deux semaines.
Dehors, le sol est tapissé de traces de pas de lapins, dont le pelage est passé de l'argenté au blanc pur il y a déjà plusieurs jours, comme pour nous annoncer la neige et l'hiver qui venaient.
Le thermomètre affiche -23 et mon nez, habitué aux plages depuis 8 mois, saigne de tant de froid.
9h : routine du matin. Les animaux (la ferme compte avant tout des chevaux) attendent leur petit-déjeuner. Une bonne ration de foin chacun, sans oublier les poney, les chèvres (arrivées à la ferme en même temps que nous il y a 3 semaines) et Tori et George, la vache et son veau.
10h : Après un petit-déjeuner de fermier (oeufs, yaourt, fromage, lait et fruits) et une discussion matinale sur la politique locale avec Dave, copain de Nataschaa et administrateur et membre du conseil municipal de Haines Junction, je vais faire un tour pour savoir où concentrer mes efforts et organiser ma journée. Je commence par récupérer les oeufs. Pendant ce temps là, Hansen, le neveu de Dave, allume un feu, et les chiennes, Nya et Oda, agitent la queue pour rentrer au chaud après une nuit de garde dans le froid.
Peu après, je croise Nataschaa qui me propose de couper du bois avec elle. Après une paire de bûches, elle part en voiture faire quelques courses.
11h : Nataschaa gare la voiture grossièrement et hâtivement devant la maison et nous appelle en criant : "venez vite, y a un ours sur le bord de la route". On grimpe et, au sortir de la ferme, sur la "Alaska Highway", seule route qui mène au plus grand état des USA, on aperçoit un grizzly à la tête immense. Il creuse pour des racines, des "gopher" (rongeur qui creuse de véritables ruches souterraines), ou tout autre chose susceptible d'augmenter ses réserves de gras pour l'hibernation qui arrive.
12h : Mio, la cheffe cuistot, chez Nataschaa depuis 6 mois, a préparé le repas, comme souvent. Aujourd'hui au menu : soupe miso maison et nouilles de sarrasin à l'ail, au tofu et aux herbes fraîches, en pots dans la maison chauffée.
13h : partie d'échecs avec Clem après manger, en attendant la livraison de foin qui devrait arriver d'ici peu.
13h30 : le camion de foin est arrivé. Mio, Clem, Hansen et moi allons réceptionner le foin. D'abord les bottes carrés qu'on charge sur des palettes, puis les grosses bottes rondes, que Hansen récupère avec le tracteur, dont les roues arrières, à cause du poids, ne touchent pas toujours le sol neigeux.
15h : au dessus du deuxième hangar à foin, on aperçoit avec Clem une chouette, petite et ronde, qui ferme régulièrement les yeux comme un routier après 10h de route. On s'approche, elle reste où elle est, et nous regarde fixement, profondément. Quand le tracteur arrive, et que je décharge la première botte, Hansen me dit qu'elle n'est plus là. Je me retourne et, en effet, elle est partie, sûrement pour dormir dans un coin moins agité, dans la forêt par exemple, où les ours et les cerfs n'iront par la déranger avec leurs déchargements de matières quelconques.
16h : déchargement terminé. On croise Dave qui nous propose d'aller tirer quelques cartouches de 300 winchester magnum sur un stand de tir à 5 minutes de la maison. Hansen décide de ramener son fusil et on prend la route glacée, que les roues sur 4×4 écrasent sans problème.
Je pense que l'âme d'un ancien cow-boy texan habite en moi tant la séance me plaît. La satisfaction de toucher la cible vaut bien les coups de poing que la crosse envoie à chaque fois que j'appuie sur la détente.
17h : on remballe et on revient à la maison. Clem me propose une balade à cheval pour exercer les chevaux et les habituer au travail. Avec Ginger, fjord têtu qui ne se laisse pas brosser facilement, on commence à travailler au sol, c'est-à-dire sans monter sur le cheval. Clémence me parle d'intention, de posture, de connexion à l'énergie de l'animal. Je hoche la tête comme si je comprenais.
Après 15 minutes, je monte sur Ginger. J'essaye de me concentrer, de me relaxer et de respirer, comme me le demande Clem, et au bout d'un moment, je touche du doigt ce qu'elle essaye de me faire comprendre : ni les rênes ni les coups de talons ne servent réellement à faire avancer le cheval sur lequel je suis et la preuve la plus marquante est que quand je veux m'arrêter, Clem me dit d'expirer profondément et, comme par magie, Ginger s'arrête. L'approche par l'exacerbation de la sensibilité du cheval et du cavalier me laisse sans voix. Tous ces westerns où les cow-boys donnent des grands coups d'éperons sur les côtes des chevaux n'avaient rien compris. "Monde de merde" pensais-je alors, John Wayne avait raison.
Clem grimpe sur son cheval, un quarter horse qui répond au nom de Cow-boy, et on part se perdre dans la forêt blanche.
18h30 : fin d'une journée bien remplie. On revient à la maison et, après manger, on se lance avec Clem dans un Catan avec Dave et Hansen. La chaleur du foyer, la tranquilité du lieu et la simplicité de la vie qu'on y mène me donne envie d'y rester 16 hiver.
Nataschaa nous propose de tous sortir pour allumer, dans la pénombre, des sticks qui crépitent et qu'on met normalement sur les gâteaux aux anniversaires.
22h : sorti pour une commission dans les bois, je lève la tête vers le ciel et aperçois des rayons verts qui pétillent, qui font des ronds et des traits au milieu des étoiles. J'appelle Clem, qui sort de la cabane en pyjama, et, avec nos appareils photos, on tente, par mille réglages différents, de rendre compte de la beauté du tableau.
Serein pour demain, reconnaissant pour hier, aujourd'hui s'achève enivré de quiétude : vivement en faire une habitude !
Vive Haines Junction, Fuck Edmonton !
N.B : De nouvelles photos sont dispos sur la page photographie ☺️
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