5 min read

Réflexions intermédiaires

Réflexions intermédiaires
Félix Vallotton, La liseuse, 1922, ©CC0 Public Domain Designation

Freiné dans mon élan invincible vers les flots atlantiques, j'ai pu, à Valence, Espagne, mettre à profit ces heures douces pour observer le monde qui m'entoure et en arriver à la conclusion suivante : je ne veux pas être une femme !

La raison élémentaire et centrale qui m'écarterait de ce projet ambitieux et courageux (en imaginant qu'un représentant en changement "illico sexo" vienne sonner à ma porte vagabonde) serait la liberté de regarder.

Ça boum ?

J'ai le luxe immense, parce que mal réparti, de pouvoir me balader seul, des heures durant, dans la grande ville en regardant ce que je veux. Des arbres, des pigeons, des vieux qui chikongue ; des jambes, des fesses, des sourcils, des yeux. En échange, les seuls regards qui se posent parfois sur moi notent ma tenue sous l'angle économique : mes tongs, ma veste sale et mon sac plastique déchiré dénotent de ce que j'ai ou de ce que je n'ai pas le loisir d'avoir. Ce n'est pas pareil pour une femme, c'est pire. Elle sera jugée non seulement sur ce que sa tenue dénote mais aussi sur ce qu'elle sous-entend. Ce qui sera pertinent pour s'en faire une idée sera tout à la fois sa veste sale mais aussi la longueur de sa veste, ses chaussures trouées mais aussi leur couleur ainsi que leur marque, son sac plastique déchiré mais surtout sa culotte qui dépasse ou pas, et si elle dépasse (ou si elle ne dépasse pas, car si elle ne dépasse pas, c'est qu'elle n'en a pas) alors ça sera (coup de baguette magique) : une fille facile, légère, frivole, amen merci mon père, alors que si mon slip à moi dépasse, je serais un artisan en pleine intervention technique sivouplé dérangez pas oui avec deux sucres merci.

Cette liberté fondamentale du regard baladeur est niée aux femmes (symptôme de maux plus profonds docteur, ah bon !?) dont les regards fixes sont forcément lubriques, salaces, plein d'intrigues et de minauderies.

Pour en faire la démonstration scientifique, prenons le cas où le regard d'une femme se poserait et se fixerait au hasard sur... un homme (sujet d'étude pris totalement au hasard, la présence d'un huissier-accesseur dans l'ascenseur ne nous permettant aucune incartade à ce sujet) et laissons la situation suivante se dérouler. Allons-y, après vous :
– Oh eh regarde, t'as vu ? Elle me mate là ou je bigle ?
– Quoi ?
– Mais regarde idiot, là, cette blonde ! Elle me mate j'te dis (il se recoiffe, l'air de rien, avec un peu de salive. L'effet est certain)
– Ohhh mais dis t'as raison elle te mate grave ! Attend un peu (il tapote sur son clavier de téléphone) "le regard fixe, les yeux plissés", là j'ai trouvé. Selon le site DavidCoachToutEtCoachBien.com, ça veut dire quelle est "sexuellement disposée au coït fécondatoire aléatoire et ne portant à aucune conséquences d'ordre matrimonial"
– Ça veut dire quoi ces balivernes?
– Ça veut dire que t'as une paire à jouer l'ami. Est-ce qu'elle a mis la main dans ses cheveux ?
– Non elle me fixe toujours, elle fait une moue bizarre avec sa lèvre du haut qui touche presque son nez et pis elle note un truc je crois.
– "La lèvre qui remonte" attend ça veut dire... (bruits de clavier)... ça veut dire qu'elle est "oestrogènement prête aux responsabilités maternelles obligatoires et responsabilisantes". Hein ? Bon on s'en fout, t'as un chèque mon gros, faut l'encaisser, aller !
– Oh je sais pas trop c'est pas dit hein.
– Mais gonz, elle te mate dans les yeux comme on mate un 'dwich en vitrine à 4h du mat après la pâteuse. Sûr qu'elle veut goûter du fruit. Par contre, va falloir aligner les pesetas !
– Oh, mais j'ai plus un bail moi, même les alloc ils m'ont viré. Que j'serais pas poli qu'ils disent. Et puis bon, pourquoi que j'devrais aligner, regarde-la, tu l'as dis toi même, c'est du tout cuit, elle me fixe comme on fixe un porcelet sur la broche les dimanche de fête. Pourquoi que j'devrais casquer hein ?
– Parce quelle est belle et blonde, qu'elle a des émeraudes brutes à la place des yeux et que toi t'es moche et laid et chômeur. C'est de l'arithmétique, tu peux pas saisir, c'est comme ça depuis le cro-moignon alors crois pas que tu vas pouvoir gruger.
– Mais j'ai pas de biflingue moi et puis je viens juste de m'acheter une cafetière 6 sorties, avec cappucino, mocciato et cafecito instantanés. Je peux pas tout investir, je suis pas Moudof.  
– Bon c'est bien parce que t'es un poto et que ta mère fait des plats sublimes sans trop saler.
(Il se lève et part en direction du regard)
– Oh eh revient oh ! Eh ho kestufé !?
(Au loin la conversation a déjà commencé. Au bout de 3 minutes, il revient)
– Oh eh mais t'es pas barj toi !? Pourquoi tu t'es levé comme le Seigneur ?
– Comme ça.
– Ah... bon.
– ...
– ...
– ...
– ... alors ?
– Alors quoi ?
– Ben alors keskeldi?
– Ah oui ! Ben elle dit que t'as un nez qu'on dirait un chalutier, qu'elle se demande si tu remontes du maquereau pour vivre. Aussi que t'aurais la même peau qu'un lézard de Birmanie, c'est rare. Elle aimerait faire des photos pour une expo zozologique, t'es op ?
– Quoi ? Ben ça c'est pas ballot ! Mais les signes alors ? Le regard et tout le barouf ? Et le coach, c'est pas tout du flan quand même ? Ben non, pour sûr. Pfff, c'est une dinguasse du slibard j'en suis sûr et elle assume pas, voilà tout.
– Ah ouais et on peut savoir comment tu sais ça toi ?
– Ben son d'jins pardi ! Tout troué qu'on dirait la carte de la Micronésie. Autant de trous, c'est un appel !

Chers lectrices, après cette démonstration, qui me semble univoque, il ne me reste plus qu'à vous étendre ma gratitude et mon respect d'être ce que je ne pourrais pas être, à vous saluer chaleureusement et à vous inviter, vous, les quelques milliers (2 selon la police des mœurs) de femmes qui lisent ces lignes à suivre mon conseil, que la bonté bouddhique m'invite à distiller ici gratuitement : apprenez à faire pipi debout, ça sert bien quand il s'agit d'éloigner les gluants.

L'équipe équipée tentant la technique dite "bouahegdue" afin d'éloigner un gluant

" La femme qu’habite une vie plus spontanée, plus féconde, plus confiante, et sans doute plus mûre, plus près de l’humain que l’homme, – le mâle prétentieux et impatient, qui ignore la valeur de ce qu’il croit aimer, parce qu’il ne tient pas aux profondeurs de la vie, comme la femme, par le fruit de ses entrailles. Cette humanité qu’a mûrie la femme dans la douleur et dans l’humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. Un jour (des signes certains l’attestent déjà dans les pays nordiques), la jeune fille sera ; la femme sera. Et ces mots « jeune fille », « femme », ne signifient plus seulement le contraire du mâle, mais quelque chose de propre, valant en soi-même ; non point un simple complément, mais une forme complète de la vie : la femme dans sa véritable humanité. "

Rainer Maria Rilke, lettres à un jeune poète, 1903

Sinon y'a ça