Medellín : entre renaissance et stagnation
Medellín, ville renouvelée ?
Au revoir Mexique, salut à toi, de nouveau, Colombie ! Le voyage et la baroude continuent ici, dans le pays or, azur et sang.
Dès mon arrivée, le fantasme de la ville de Medellín, que j’ai construit en regardant la série Narcos, s’évanouit très vite : le souvenir de celui que certains ne préfèrent pas nommer est bien loin. Aujourd’hui, la ville est un des plus grands centres économiques de Colombie ainsi qu’un centre d’intérêt culturel et touristique.
Dans la Comuna 13 par exemple, le barrio pauvre et ensanglanté par la main de fer de Pablo Escobar est devenu une bulle gentrifiée où les fresques de nombreux artistes servent à repeindre les rues pour transiter d’un passé en noir et blanc à un avenir en couleurs. La Comuna 13 n'est plus le repère des narcos et des sicarios mais celui des graffeurs et des hipsters, et cette ambiance en fait l'un des lieux les plus touristiques de la ville.

Dans Medellín, les nombreuses places (Plaza Botero et Plaza Cisneros entre autres) et parcs (Parque Berrio, mon préféré) sont souvent investies ou entourées par des vendeurs de rues en tout genre, et la balade se transforme vite en chinage.
Voilà, je pense, mon activité favorite en voyage : regarder, écouter, sentir, se perdre dans des rues puis prendre un tinto (café à 1500 pesos soit 35 centimes) en discutant avec une vendeuse de mazamorra (mélange de mais bouilli dans du lait, le tout agrémenté de panela, bloc séché de jus ou de sirop de canne)

Medellín, miroir de l’histoire colombienne
C’est en me rendant au musée Casa de la memoria que je me suis rendu compte de l’omniprésence de la violence en Colombie depuis le début du XXe siècle.
Ce musée interactif est rempli d’objets, d'articles de presse, de vidéos et d'images en tout genre qui traitent du conflit, ou plutôt des conflits armés et violents que la Colombie a subi depuis plusieurs décennies.
En cause : la quête du pouvoir entre libéraux et conservateurs (dont la période connue sous le nom de « la Violencia » représente un paroxysme de brutalité), entre groupes armés communistes et État autoritaire, entre groupes armés pour le contrôle du narcotrafic.

C'est aussi cette interactivité qui permet à l’un des musées phare de la ville de Medellín d'engager le visiteur dans une expérience déroutante, où, à mesure qu’il déambule, il peut, entre autres, tourner des cubes, en brochettes sur des tubes de métal, qui présentent des portraits de victimes ou de familles des victimes.
Il peut également tourner une roue stylisée qui lui présente une vie supposée, celle qu'il aurait pu avoir s'il avait été vieux, jeune, homme ou femme et la violence qu'il l'aurait entourée selon la période historique et la classe sociale.
Aussi, de nombreuses vidéos présentent et contextualisent plusieurs périodes de l’histoire colombienne. L’une d’entre elles m’a particulièrement marquée.
On y voyait un politologue parler du conflit armé en présentant les points à retenir au sens de la politologie, mais surtout en parlant de sa propre expérience.
D’abord membre du M-19 (« Movimiento 19 de Abril », organisation de guérilla urbaine qui surgit après les irrégularités électorales de l’élection présidentielle du 19 avril 1970), il s’était rendu compte, après plusieurs semaines à se battre contre d'autres groupes et l’État, de l’extrême violence que la guérilla supposait, et de l’impasse politique, sociale et morale qu’elle sous entendait.
Il s’était finalement retiré de l’organisation M-19 pour redevenir, comme il disait, civil.

Enfin, dans le couloir qui mène à la sortie, la phrase « un musée pour ne jamais oublier » accompagne le visiteur.
Les inégalités, fléaux du pays et du continent
Medellín raconte à elle seule l’ambivalence de la Colombie où les inégalités sont béantes et leurs manifestations quotidiennes.
D'un quartier à l'autre, de cette rue à celle d'en face, il est possible, en Colombie, de se promener dans des parcs richement décorés puis de changer soudainement de décor pour rentrer dans un barrio où l'alcool, le chômage et la violence ont mis la main sur tout.

La drogue aussi notamment le "bazuco" (qui signifie littéralement "déchet"), qui provient des résidus de la fabrication de la cocaïne, est une mort lente mais sûre face aux problèmes qui s’accumulent.
Beaucoup d’habitants, n’ayant nulle part où aller que la rue qui les accueille, déambulent à la recherche d’un semblant de repas, un sac poubelle sur l’épaule contenant toutes leurs possessions.
Dans le même temps, d'autres quartiers, comme celui très touristique d'El Poblado, sont déconnectées de cette triste réalité. Le café servi est réputé comme étant le meilleur de la ville, on peut commander du vin français ou italien, acheter le dernier sac Prada en vogue.
Dans le quartier d'El Poblado, quand vous vous installez à la terrasse d’un restaurant, un groupe de colombiens, dernières lunettes de soleil à la mode sur le nez, veste en cuir ou en jean, vous demande à vous, voyageur européen, votre prénom, pour démarrer un freestyle de rap en votre honneur. Carrot cake et thé matcha, un bout d’occident en Colombie.
Deux styles, deux vivres, bienvenue en Amérique Latine. À ce propos et si les inégalités en Amérique Latine vous intéressent, je vous conseille le film mexicain "La Zona" qui traite de ce sujet à travers l'histoire fictive d'un barrio de haute sécurité où les riches s'enferment et s'isolent du monde extérieur.

Alors, Medellín ?
Medellín a beaucoup changé en très peu de temps. Gentrifiée et dynamique, la ville est l’un des centres économiques les plus actifs du pays, un cluster où de nombreuses entreprises ont élu domicile.
Mais Medellín reste une ville colombienne et le contraste est souvent amère quand vous sortez pour faire la fête ou vous balader dans les rues de la Comuna 13, que le vent doux et le climat agréable vous entourent, que les places vous enchantent et que la découverte de spécialités locales (bandeja paisa, que delicia !) et de la culture colombienne vous mettent en joie jusqu’à ce que soudain, un homme aux jambes nécrosées croise votre regard insouciant pour vous crier en silence : « et moi ? ».
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que ma soupe de pâtes se transforment en steak frites puis en buffet à volonté.
Member discussion