Le rassemblement de l'arc-en-ciel, un syncrétisme protéiforme et hasardeux
Le rassemblement de l'arc-en-ciel : les prémisses
Loin des catastrophes naturelles, c'est à San Agustín que Juliette, amie bateau-stoppeuse rencontrée au Cap-Vert, m'avait parlé d'un rassemblement, souvent confondu comme étant un"festival", qui se tenait actuellement à Mocoa, quelque part dans la foret dense et humide.
Le rassemblement de l'arc-en-ciel, ou Rainbow gathering en anglais, vise, depuis sa création dans les années 60 et ses mouvements de contre-culture, a créer une communauté éphémère sur un territoire pour partager un idéal de paix, d'amour et d'harmonie entre ses membres, et construire, l'espace d’un cycle lunaire, une utopie heureuse.
Attiré par l’idée, et, depuis longtemps, par la vie en communauté, je décide d'aller y faire un tour. Sur le chemin qui me mène à la quebrada (traductible en français par "vallée" ou "ravine") qu'un paysan a généreusement mis à la disposition de la communauté pour l'occasion, je croise Bryan, Candice, Juliette et Gwenn. Je descends de la moto, file une bière de remerciement au jeune motard qui m'avait pris en stop puis vais embrasser la "team".
La route vers le rassemblement de l'arc-en-ciel
Dans la nuit bien avancée, nous nous mettons en route vers le rassemblement, qui dure déjà depuis deux semaines et qui sera marqué, ce soir, par la cérémonie de la pleine lune.
Le chemin, d'abord bétonné, au milieu de maisons alignées, se transforme peu à peu en un trace de plus en plus boueuse qui sillonne à travers la foret. Le souvenir de la Guadeloupe me revient un peu, et mes chaussures finissent vite gorgées de gadoue.
Après avoir traversé la rivière par deux fois, les indices disséminés de la présence de hippies se font de plus en plus nombreux (notamment des petits fanions aux couleurs de l'arc-en-ciel) jusqu’à ce que l'on atteigne un plateau, où plusieurs tentes sont montées. Puis on distingue un feu et, au loin, plusieurs dizaines de personnes, assises ou debout, autour des flammes.
Quand elle remarque les nouveaux arrivants, la communauté de l'arc-en-ciel exulte et nous accueille en chœur d'un cri de joie. Je sens qu'un sourire enfantin prend soudainement forme sur mon visage et qu'un rire niais et innocent émerge joliment. Je sens que je vais aimer vivre dans cette communauté.
Mais plus je m'approche des hippies arc-en-ciel, plus je remarque des personnes isolées, ça et là, allongées, assises, se tenant les genoux, la tête. Elles ne sourient pas, ne me regardent pas, ne me remarquent pas. Je continue à vagabonder dans l'espoir de trouver deux arbres pour accrocher mon hamac, laissant la "team" derrière moi, et à chaque fois, près d'une tente ou d'un bosquet, je vois une personne, toujours seule, qui "voyage". Seulement ce voyage spirituel n'a pas l'air d’être agréable du tout.
L’émotion provoquée par l'accueil de la communauté de l'arc-en-ciel s'est totalement évanouie, remplacée par des questions qui émergent. Juliette m'avait dit que le rassemblement de l'arc-en-ciel se voulait sans alcool, sans sucre, sans drogues. Les personnes que je vois devant moi sont, de toute évidence, sorties des sentiers conseillés.
Un sentiment désagréable m'habite désormais, et je ne peux me défaire du spectacle triste de ces solitudes isolées, voyageant sans personne, si ce n'est la drogue qui les a propulsés.
La cérémonie de la pleine lune
Peu de temps après, mon hamac installé et mon postérieur reposé sur un tronc d'arbre disposé au sol, j’entends un homme prendre la parole et enjoindre le groupe, avant que le service du cacao soit effectué, de diriger ses mains et son énergie vers chacun des points cardinaux. Le soleil, la "Pachamama", et d'autres totems sont évoquées, et, en bon matérialiste que je suis, je ne peux m’empêcher de rire.
Cette cérémonie, bien qu'ayant sans doute les meilleurs intentions, me parait brouillonne, à la croisée de cultures et de pratiques que je connais à peine, utilisant des mots que je ne pourrais définir et qui ne m'appartiennent pas. Aussi, la prise de drogues, appelée ici "médicaments", me parait irréfléchie, brouillonne elle-aussi, comme si une molécule pouvait débloquer, par magie, sans contexte et au milieu de la brousse humide, le flux de questions qui nous occupent tous et toutes.
Malgré le cacao généreusement partagé, le feu sacré et sa chaleur, nous préférons rentrer à Mocoa. Le lendemain, je décide d'y retourner pour y passer quelques jours. La vie en communauté est, à mes yeux, bien trop importante pour rester sur cette impression pénible d'ambiance de festival quand je ne la recherchais pas.
Le bilan de mon séjour au rassemblement de l'arc-en-ciel
Au final, j'y verrais du bon et du moins bon. Les rassemblements spontanés autour du feu où l'on se prenait la main pour chanter en chœur, ainsi que le partage et la participation active et joyeuse aux activités du quotidien (notamment la préparation des repas) m'ont fait retrouver mon sourire.
Mais la sur représentation d’européens au sein de la communauté, notamment de Français, dans la foret de Mocoa, à plusieurs milliers de kilomètres du Vieux Continent, m'a crispé et m'a fait partir du rassemblement (à l'image d'un excellent atelier de chants diphoniques... dispensé en français, à Mocoa, en Colombie).
L'autre point négatif, que j'ai vaguement évoqué plus haut, et que le journaliste de l'Indian Country Today Nick Estes détaille ici, est que le rassemblement de l'arc-en-ciel apparaît comme un syncrétisme gauche de croyances et d’idées. Il ne serait pas dérangeant en soi s'il n'évoquait pas et n’empruntait pas un vocabulaire et des pseudo-pratiques de peuples indigènes, dont les coutumes méritent une compréhension poussée et imposent une initiation et une permission avant de pouvoir être réutilisées.
La recherche de sens ne peut tout justifier et Nick Estes le rappelle, en prenant l'exemple d'un Rainbow gathering dans les Blacks Hills dans le Dakota du Sud, appelés "Ȟe Sápa" en langue Lakota :
Les États-Unis, une nation de colons, se sont construits violemment sur la base de ce mythe : les blancs, qui ressentent l'absence de liens, de sens et de relations à cette terre, se tournent vers d'autres formes de vol. Les terres qu'il nous restent, nos lieux sacrés et nos cultures deviennent alors la proie du pillage et du vol, justifiés par la quête de sens et de réalisation de soi.
Ainsi va le rassemblement de l'arc-en-ciel, pour le meilleur et pour le pire, et je le quitte à présent pour me diriger vers Bogotá, en passant d'abord par le désert de la Tatacoa.
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que mon matérialisme triste et incolore se transforme en un paréo doré, puis en un vêtement aux couleurs de l'arc-en-ciel, designer par Valentino Garavani.
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