Mystique Mexique
J’ai mis du temps à écrire cet article. Non pas qu’il m’ait demandé une technicité particulière, ou des recherches qui auraient pu justifier les longs jours de silence. J’ai mis du temps à écrire cet article parce que le Mexique a été, pour moi, la porte d’entrée dans ce monde hispanophone dont je suis tombé amoureux, et dans cette vie vagabonde qui est désormais la mienne. Je ne savais pas quoi en dire, j'en avais déjà tant dit. Et comment pourrais-je parler d'un pays qui m'est encore si mystérieux, avec ses plages de sable fin, qui s’étendent à perte de vue, où les hôtels luxueux côtoient la misère pieds nues, les tirs d’armes à feux la nuit, les ceviches de pagre au citron et les statues de divinités Maya, Olmèques, Aztèques.
Dans mon pays de cœur, je ne devais qu’y passer, à peine m’y arrêter pour une pause. Quetzalcóatl, le serpent à plumes tout-puissant, a dû en décider autrement. Peut-être était-ce pour que je rencontre ces personnes que j’ai rencontré, ou bien me mettre sur la piste de lieux enchantés. Ou était-ce pour que je vois ces hommes aux grands chapeaux ou ces femmes transportant des sacs poubelles, ou celles en béquilles, qui vendent des glaces, des sucettes, du Mazapán, des fruits coupés, des frites à 50 pesos ? Ou bien ces jeunes hommes qui remplissent et transportent des bidons de 50 litres, sans arrêt, toute la journée ? Ou bien était-ce pour ces hommes qui avancent les yeux fermés dans le métro, avec de la musique et un récipient qu’ils agitent comme pour vous parler ? Ou bien ces enfants, tenus par une laisse flexible histoire de ne pas les perdre dans la foule ?
Ça pourrait être pour toutes ces choses à la fois, et bien plus, car le Mexique est, je l'ai dit, un pays mystérieux. Un pays où vous pouvez trouver tout ce que vous cherchez, ou que vous ne cherchiez plus. D'Hitler en short de bain grand sourire sur un t-shirt rose au câble de Game Boy Color, qui n'existe nulle part depuis 2003, le Mexique est la Chine de l’Amérique, et rien de ce que vous pouviez imaginer pourrait y manquer. Du pilulier rose aux vêtements Gucci impeccablement reproduits, du peigne long d’un mètre au crack de Windows ou de Whatsapp, tout s’y vend, surtout dans la rue, lieu d’effervescence des grandes villes.
Et bien plus, car le Mexique, c’est le pays de la culture, le pays aux milles plats, le pays des communautés, des moustaches, des femmes à fusils, des femmes à barbes, des femmes à barbes et à fusils, des hommes jaloux. Le pays des mères qui travaillent avec un enfant dans les bras, et celui des enfants qui travaillent avec un bébé dans les bras. C’est le pays où on peut acheter une machine à laver à la banque, du coca en pharmacie et de la bouffe à n'importe quelle heure.
Le Mexique, c’est le pays de l’itinérance, des roulottes et des stands qui se font et se défont plus vite qu’une déportation de migrants. C’est le pays du travail à 10 centimes, le pays des pieds noirs et usés, aplanis par le labeur et la déambulation stérile. C’est le pays des pauvres où l’espoir est source de plaisanteries. C’est le pays où tout le monde dort dans le bus, dans le métro, dans la rue, harassés par le rythme qu’aucun parisien ne pourrait tenir.
Le Mexique, c’est le pays où les camionneurs se droguent pour ne pas dormir et celui où les enfants se jettent dans l’eau profonde des côtes de Veracruz pour récupérer, à 40 mètres de fond, les pièces que certains leur lancent. Le Mexique, et ses grandes villes, Mexico en tête, c'est l'abysse du Londres tout fraîchement industrialisé et décrit par Jack London, un abysse qui broie les hommes comme on broie les olives pour en faire de l'huile.
Le Mexique, c’est le pays du maïs, autosuffisant en mais blanc, mais qui importe 80 % du mais jaune, destiné aux bêtes, de chez son cher voisin du nord, les États-Unis d’Amérique, à qui le Mexique vendra ensuite la viande qu'il aura produite, dans la plus évidente démonstration shadokienne de notre système financiarisé et mondialisé.
Le Mexique, c’est le pays de la violence et des faits divers, dont la brutalité inspirent des centaines de films chaque année. C’est le pays du transit, le pont entre le sud et le nord, entre la production des drogues et leurs consommation. Le Mexique, c’est aussi le pays des féminicides (951 en 2022), deuxième en Amérique Latine après le Brésil. C’est le pays où, selon les mots d’un collectif de sororité et de résistance local, "les femmes n’existent que parce qu’elles résistent".
C’est le pays du rebondir, où, quand vous demandez à Jesus, quinquagénaire qui vous a pris en stop, pourquoi, malgré le fait qu’il se soit fait agressé, menacé d’une arme et volé plusieurs fois sa marchandise, il continue encore, il vous répond : « parce que j’ai plus faim que peur ». Le Mexique, c’est aussi le pays des excès, celui de la « mordida » (nom donné par les mexicains à la corruption et la taxe informelle que les officiels ponctionnent quand ils en ont l'occasion) autant que celui de la fête sans fin, de la musique, avec ou sans harpe, de l’amitié et de la famille, sacrés ; du soleil partout et du trafic d’êtres humains, où on peut acheter, aux dires de Jesus, une Chiapaneca pour 25 mille euros pour en faire son esclave.
Le Mexique, enfin, c’est le pays des hauts et des bas. Le pays où, quand vous faites du stop prés d’un Oxxo avec une pancarte indiquant votre destination, fatigué au point d'en être asservi, les gens ne vous tendent pas un paquet froissé de billets pour s’émanciper du lien qui pourrait exister entre les éléments d’une société, mais, au contraire, vous demandent si vous avez mangé, et vous payent le repas en écoutant votre histoire. C’est le pays dans lequel je suis né tant de fois nouvelles. C’est le pays dans lequel mon imaginaire est boulimique, où il se nourrit des milliers de récits des cultures, toujours vivantes, qui ont construites ce peuple.
Au Mexique, comme disait Luis Mariano, dont les opérettes ont peuplé mon enfance, « le temps parait trop court pour goûter au bonheur de chaque jour ». J'y ai goûté, encore une fois, et comme c’était trop court, je me suis dis "j'y reviendrai".
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