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Comment entrer au Vénézuela ? (Partie 3)

Faîtes l'expérience d'entrer au Vénézuela par la Guajira, dont le passage par Paraguachón vous laissera des souvenirs indélébiles.
Comment entrer au Vénézuela ? (Partie 3)
Photo by Jim Romero / Unsplash

Pas encore au Vénézuela, parce qu'au moment où je m’apprête à mettre ma casquette sur la tête pour piquer un somme, un agent de la brigade anti-drogues monte à bord et me pointe aussitôt du doigt :

— Toi, descends. 

Clint Eastwood.
...

Accompagné par deux hommes de la compagnie de bus, l'agent me demande de vider l'intégralité de mon sac, qu'il inspecte avec zèle et méthode, puis m'invite à entrer dans une pièce grande de 3m2, où il me demande d'enlever ma veste, le contenu de ma sacoche camouflée sous ma veste, et mes chaussures.

Mes chaussures ? Oui, mes chaussures, et j'essaye de garder mon calme quand il me l'annonce parce que dans ma chaussette gauche, sous ma voûte plantaire, j'ai dissimulé 150$.

Si besoin pour les voyageurs, voilà une vidéo du mexicain Luis Horacio de la chaîne "Como le hago ?" avec quelques astuces pour cacher de l'argent en voyage. Mention spéciale pour le peigne, ma préférée.

Au Vénézuela, il n y a pas de distributeurs automatiques qui permettent aux étrangers de retirer de l'argent en quantité suffisante et même s'il y en avait, aucun ne dispose de dollars, monnaie officieusement officielle. Pour s'en procurer, il faut les acheter au marché noir, dont le taux de change varie selon la situation économique, sans cesse fluctuante.

Billet d'un million de bolivar au Vénézuela.
Avec 1 million de bolivar, vous êtes millionnaire imaginaire au Vénézuela, sachant que ce billet a perdu tous ses zéros et vaut, actuellement, 0,01 dollar...

La première fois que je suis entré au Vénézuela, l'entrée en bateau dans le parc national de Los Roques m'avait étrangement épargné ce genre de fouille excessive. Cette fois-ci, je joue le tout pour le tout parce que s'il trouve l'argent, il me fera un grand sourire pendant qu'il mettra les billets dans sa poche, et je resterai là, silencieux et témoin de mon impuissance.

J'enlève mes chaussures, qu'il inspecte. Je sue comme un poulet rôti, et dans ma tête, l'aventure va s'arrêter là.

Et puis quand il me tend les chaussures, je peine à réaliser qu'il me demande de les remettre, pas d'enlever mes chaussettes. Mon ange gardienne (merci mamie Zouina), doit se ronger les ongles avec tout le travail que je lui donne.

Je reprends toutes mes affaires, souffle un bon coup, et m'apprête à sortir quand il me retient et me dit :

— Ton téléphone, déverrouille le.

Et je me rappelle soudainement ce qu'Alvaro, copain espagnol rencontré en auberge à Medellín, passé au Vénézuela avant moi, m'avait dit :" fais gaffe mec, il vérifie tout, ils ont épluché tous mes messages, ça a duré des heures ".

Ici, il aurait simplement besoin d'éplucher une seule conversation pour voir qu'il y à 17 minutes, j'ai écrit à Jésus et Ady "J'ai berné la migración avec une fausse réservation d'hôtel ", le tout, évidemment, en español bien d'ici.

Fantomas
Et moi qui pensait être plus fort que Fantomas Vénézuela... Source : mechants.fandom.com

Je déverrouille mon téléphone et file dans mes messages pendant qu'il est occupé sur son téléphone. Je cherche le message en question, je ne le trouve pas. Il finit par lever la tête, je ferme l'application et lui tends le téléphone.

C'est fini, game over, je sais qu'il va tomber sur le message, va me regarder me débattre à cause de ma négligence, va ouvrir la porte pour appeler ses collègues et leur montrer le message en riant et en appelant son chef pour lui dire au téléphone "chef, vous allez être fier : aujourd’hui, j'ai pêché un François".

the office us.
Ou alors, j'explose mon téléphone contre le sol... non ?

Mais à la place, il va dans les paramètres de mon téléphone et ouvre les propriétés. Sur son téléphone, il entre le code IMEI (dont chaque téléphone possède le sien, unique, qui permet de l'identifier). Je lui demande nonchalamment, en suant comme un condamné, ce qu'il fait.

Il m'explique que, grâce à son application, il peut vérifier si le téléphone n'est pas volé. Après vérification, il me tend le téléphone et m'invite à sortir de cette pièce. Sortir de la pièce ? Ma fin était signée, et maintenant je suis libre ? 

Je remonte dans le bus, un peu sonné, sans vraiment comprendre si c'est vraiment terminé. Le bus démarre et j'ouvre mon téléphone. Dans l'application de messagerie, je vérifie mais ne trouve pas le message incriminant. Puis je me rappelle qu'aussitôt l'avoir écrit, je l'avais supprimé. Rarement j'avais été aussi fier de ma réactivité et de mon sens pratique. 

brown and black animal on brown tree branch during daytime
Maintenant : dodo ! Photo by Matthias Speicher / Unsplash

Bien qu'étant bel et bien au Vénézuela, j'étais loin de pouvoir me reposer dans ce bus bruyant. — Toi, descends.

C'est un genre de running gag. À chaque fois qu'un garde national monte dans le bus et qu'il me voit, moi homme pâle parmi les guarijiens au teint mate, il me lance cette phrase.

Le bus s'arrête, attend 5 minutes la première fois puis plus du tout les fois d'après. Un homme de la garde nationale me demande de vider mon sac, je lui explique que c'est la Xème fois qu'on me le demande, il m'indique, poliment, qu'il s'en tamponne la ganache, puis j'obéis, résigné. Il est des cas où la résignation vous mêle à la nonchalance et alors elle devient un atout.

C'est le cas ici, quand les gardes nationaux découvrent, dans l'une de mes pochettes, une cartouche de 44 magnum que je gardais depuis le Texas en souvenir pour en faire cadeau. Ils me présentent les menottes et, malgré le fait que je leur signale qu'il ne s'agit que d'une cartouche, que c'est un souvenir d'un état des États-Unis où le tir est légal (sans même me rendre compte que je suis au Vénézuela, pays dont les gouvernants passent les 3/4 de leurs journée à fustiger les impérialistes de Washington), ils s'en moquent et je comprends pourquoi.

Maduro danse la salsa.
Un français dans mes geôles ? Mouahaha !

Avoir une cartouche ici sous-entend avoir une ou des armes. La résignation s'empare de moi, je laisse les gardes inspecter mon sac pendant que je parle aux chefs, de tout et de rien. Advienne que pourra et dieu pour tous.

Le bus est déjà loin, hors d'atteinte, quand je remets toutes mes affaires vaguement à leur place. Je m'assieds sur le muret qui entoure le poste de la garde nationale qui vient de m'arrêter, à nouveau, et je discute de la chaleur qu'il fait avec l'un des gardes.

Zoom sur une paire de menottes mises aux poignets.
Oui, c'est vrai qu'il fait chaud en ce moment, très chaud même haha... Photo by Kindel Media

Puis un taxi passe et s’arrête. Je vois l'un des chefs avec qui j'avais discuté s'approcher de la voiture. Il parle quelques secondes avec le chauffeur puis m'appelle et me fait signe de venir.

Je prends toutes mes affaires, m'approche de la voiture et vais à la rencontre du chauffeur, qui vient de sortir de la voiture. Je lui présente mon passeport pour le rassurer et lui explique la situation. Je suis un touriste français et je voyage seul. Il me scanne de ses yeux mi-clos puis, sous la pression de son "ami" chef du poste local de la garde nationale, il m'invite à monter.

Vieille voiture américaine converti en taxi à Maracaibo au Vénézuela.
Vieille Cadillac (?) pour nouveau taxi.

Il y a encore 30 minutes, j'étais sur la banquette inconfortable d'un bus bruyant, où je ne pouvais espérer me reposer plus de 15 minutes sans que des fonctionnaires à uniformes décident de m'inspecter moi et mon sac suspect de touriste perdu.

À présent, je suis dans un taxi, qui passe les barrages sans encombres, peut-être grâce à cette vieille dame sur le siège passager, que le chauffeur dispose là par calcul afin de tromper son monde.

Une vieille dame est assise dans un taxi au Vénézuela.
Et dans le sac à main, c'est quoi qui dépasse madame, hein ? Comment ? 12 kilos de cocaïne ? Haha, elle est bien bonne, aller circulez et une bonne journée à vous.

En attendant, me voilà arrivé à Maracaibo, au Vénézuela pour de bon !


Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je me paye des taxis de luxe depuis lesquels la misère du monde ne serait même plus visible, de la Guajira à Maracaibo, en passant par Caracas... Mais quand j'y pense, j'ai réussi à voyager en taxi de luxe, et sans payer, de surcroît... Eh ben ça alors !