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Comment entrer au Vénézuela ? (Partie 2)

Faîtes l'expérience d'entrer au Vénézuela par la Guajira, dont le passage par Paraguachón vous laissera des souvenirs indélébiles.
Carte du Vénézuela
Photo by Jorge Salvador / Unsplash

Même si je me suis débarrassé du guajirien avec succès, je ne suis toujours pas au Vénézuela, bloqué dans un entre-deux inconfortable, légalement nulle part. Sachant que l'obtention d'une carte d'invitation notariée, au prix ubuesque, est absolument hors de question, je décide de m'occuper de la réservation d'hôtel. Là aussi, pour que ça marche, j'ai un plan.

un drapeau du Vénézuela sur un mât
Préparez les empanadas, gordo Koko está en camino Photo by aboodi vesakaran / Unsplash

Je me rends sur Booking pour réserver 6 nuits d'hôtels à Maracaibo. Par chance, le site ne me demande aucune carte de crédit. Le total de la réservation d'hôtel (à savoir 174$) devra être payé à l'arrivée (imaginaire, hihi, dans l'os la douane).

L'agent du bureau migratoire m'avait bien précisé que je devais imprimé la réservation. Je ne le fais évidemment pas et me présente de nouveau devant la vitre qui nous sépare.

Mon objectif : que les efforts que je déploies pour entrer dans le pays soient séquencés, disséminés. Il faut que l'entrée se mérite et que je prouve mon envie par ma patience.

Panneau indiquant le menu d'un restaurant de plage sur la côte caribéenne du Vénézuela
Quelques photos tirées du web pour vous convaincre que le Vénézuela est bel et bien le plus beau pays du monde. Photo by Fuka jazz

Quand il me répète que le document n'est accepté que s'il est imprimé, je tire une moue triste mais résolue.

Je veux qu'il lise dans yeux que, malgré ce coup dur, je réussirais, monsieur, avec détermination et persévérance, à rentrer dans votre pays, ce pays qui est plus beau pays du monde, avec ses cascades sans fin, ses grottes sans fond et ses gouvernants sophistes. Je retourne sur le banc et convertis les documents en PDF en vue d'aller les imprimer à quelques mètres d'ici.

"Les" documents, oui, car ça n'est pas une mais deux réservations que j'ai faites, l'une sur Booking l'autre sur Hostelworld, afin de montrer à l'agent le bon élève que je suis. 

Tortues dans la mer près de Gran Roque dans l'archipel des Roques au large de Caracas au Vénézuela.
Gran Roque dans l'archipel des Roques au large de Caracas. Photo by Maria Isabella Bernotti

J'ai quasiment terminé l'opération quand un sifflement me détourne de l'écran. Quand je me retourne et cherche la source, je vois mon guajirien à casquette, mains tenant fermement le grillage, me faire un signe de la tête, signe désormais familier et symbole de notre intimité : — Catiré, tu as combien pour aller jusqu'à Maracaibo ? J'aurais voulu lui chanter "La Foule" de Piaf pour que l'expérience lui soit plus agréable mais il serait sûrement resté, aurait peut-être rit, m'aurait peut-être offert une bière, et tout aurait été différent.

Le Salto Ángel dans le parc national Canaima au Vénézuela
Le Salto Ángel ou Kerepakupai Vená en langue arekuna, la plus grande chute d'eau ininterrompu du monde dans le parc national Canaima au Vénézuela. Photo by Rich Childs

À la place, j'ai remis les gants. Le premier round n'avait pas suffit, et ce que je prenais pour un K.O n'était qu'un genou à terre. Il s'est relevé avant le décompte. Avant d'entamer la bataille, que je sens inévitable, je tente de le décourager : — L'agent est insistant, il veut pas me laisser entrer. Si j'ai pas le tampon, le transport me sert à rien. Je vais devoir retourner en Colombie si ça continue. Il insiste : — Dis lui que tu dois vraiment rentrer dans le pays, que ta tante est malade et que tu dois la rejoindre. Bien-sûr, pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Une tante malade aurait assurément amadoué ce gros monsieur derrière sa vitre qui, alors que je patientais dans la file d'attente, était plus occupé à envoyer des bisous crasseux à une femme qui désirait, elle aussi, rentrer au Vénézuela, qu'à faire son travail. Il insiste encore, et encore et encore alors je dégaine mes crochets verbaux, mes jabs de mots : — Non... mais... parce que... donc... en fait... oui... mais non... mais non... mais aussi... parce que... donc... je pense... je dois... et puis... aussi... donc... c'est pour ça que... et d'ailleurs... mais... aussi... par contre... je crois pas que... avec un peu de recul... j'imagine aussi... Puis je retourne sur mon banc. Lui part en titubant : je ne le reverrais plus jamais. 

Le Vénézuela, le pays des plus belles femmes du monde ?

Je m'en vais ensuite pour imprimer les documents de réservation de mes "hôtels" (😜). Je me mets en marche vers le cybercafé et à l'intérieur, un homme qui répare une tour de PC des années 90 m'incite à envoyer les documents par message.

Il les imprime aussitôt reçus pendant qu'un enfant me regarde et me tend la main pour que je lui donne quelques pièces. Quand l'homme a fini, je récupère les documents et me remets en route pour le bureau migratoire.

Une vache broute de l'herbe dans les montagnes de Mérida au Vénézuela.
Paysage de Mérida. Photo by Maria Isabella Bernotti

J'arrive à hauteur du poste frontière vénézuélien quand un autre homme à casquette m'accoste : — Eh catiré, il me reste une place pour Maracaibo, je te la laisse à 10$. J'ai l'impression d'être dans un jeu vidéo ou dans un simulateur mis en place par le ministère de la santé, où il faut constamment armer ses nerfs pour dire "non à la drogue". Je fais l'erreur d'hésiter, il s'engouffre dans la brèche :  — 10$, on part maintenant.  Heureusement, je n'ai pas encore le tampon des services migratoires. Je me reprends et dégaine de nouveau ma botte secrète : — Non mais ... parce que... oui... mais non... mais non... donc... parce que... non... faudrait aussi que.... donc... avec ça... et puis aussi... — Mais paye les, c'est ça qu'ils veulent, paye les et t'auras ton tampon ! — Oui... mais non... parce que... non...et puis... donc... Je suis quasiment au portail des services migratoires. Je rajoute un "donc" pour la beauté du sport, et il se défait de ma compagnie à la vitesse d'un échappé de peloton.  Je retourne m'asseoir sur le banc, pour la forme, et laisse passer une dizaine de minutes, pour la forme aussi, avant d'aller présenter les documents imprimés au gros monsieur.

Salto la Llovizna dans le parc national la Llovizna près de Puerto Ordaz au Vénézuela.
Salto la Llovizna dans le parc national la Llovizna près de Puerto Ordaz.

Par chance, il est pris dans une discussion, qui a l'air hilarante, avec ses collègues du service. Il voit apparaître le montant de 174$, le mot "réservé" et ne prête pas plus attention aux détails.

Une photo, une empreinte et boum : passeport tamponné. Je jubile et envoie un message à Jésus et Ady pour leur raconter comment j'ai berné les services migratoires. Ils jubilent également, et en rient. On en rit tous, ensemble, et on s'échange des meme et autres gif par message pour se moquer des agents de l'office migratoire vénézuélien.

Vendeur de plátanos (banane plantain) à Maracaibo dans l’état de Zulia au Vénézuela.
Vendeur de plátanos (banane plantain) à Maracaibo dans l’état de Zulia. Source : Pexels

Je sors du portail, salué par le portier qui me dit à quel point il aime la France et j'embarque dans le bus qui, pour 30 mille pesos (environ 6 euros 60), emmène les passagers jusqu'au terminal de Maracaibo. Je me sens comme Ice Cube et comme lui, je veux chanter "Today Was A Good Day". Après tous ces efforts, je quitte enfin Paraguachón après 4 heures de procédures administratives. Je m'installe dans le bus et souffle un bon coup. J'ai réussi, je suis au Vénézuela !
— Non... pas encore. — Comment ça "pas encore" ? J'ai réussi, regarde j'ai le tampon, la réservation d'hôtel... Tout est ok ! — Ouais mais c'est un peu plus compliqué que ça... Tu connais le Vénézuela, je t'apprends rien. Lis plutôt la suite, tu verras. Fin de la deuxième partie.


Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que je me paye des taxis de luxe depuis lesquels la misère du monde ne serait même plus visible, de la Guajira à Maracaibo, en passant par Caracas.