Cali, capitale mondiale de la bonne humeur
Cali mon amour, Cali mon idylle. Cali qui vit pour la nuit et qui se réveille chaque vendredi pour enflammer cette rue étroite, surnommée « calle del sabor », sur le bulevar del rio. Rarement, au cours de mon voyage, un lieu, m’avait autant fasciné. Rarement depuis le début de mon voyage avais-je ressenti un tel sentiment d’être à ma place, au bon endroit, qu'ici dans la capitale de l’État du Cauca.
Pour vous décrire ce sentiment, il me faut tout d’abord pour présenter la ville.
Cali : entre dynamisme et poids de l'histoire
Cali est le troisième centre urbain de Colombie, après Bogotá et Medellín. Fondée en 1536 par les espagnols, l’une des plus vieilles villes d’Amérique latine est enserrée dans la vallée du fleuve Cauca, 2e plus grand fleuve de Colombie.
Ethniquement parlant, Cali présente une particularité intéressante : plus de 26 % de sa population est d’ascendance afro-colombienne.
En cause, l’histoire et l’esclavage. À travers les années, les esclaves et fils et filles d’esclaves ont converti leur héritage douloureux en pouvoir d’émancipation et de résilience, notamment à travers la musique (sur un sujet similaire, je vous conseille cet article de Blast qui traite de l'histoire politique des musiques noires américaines) et aujourd’hui, la ville, grâce à eux, est devenue l'un des plus grands centres culturels du pays et le centre névralgique de la salsa colombienne, à tel point que le type de salsa le plus populaire dans le pays s’appelle « la salsa caleña ».
La salsa caleña dansée à Cali *-*
C’est ce point sur lequel j’aimerais m’arrêter quelques instants.
La salsa caleña : une tradition qui vit à travers l'histoire
La sacralité de la salsa à Cali est à mettre sur un pied d’égalité avec celle de la cumbia en Colombie. Chaque fin de semaine, les danseurs en herbe, les professionnels, les curieux et les autres se retrouvent tous pour danser, chanter, claquer des mains et des pieds dans la « calle del sabor ». La chaleur qui s’y dégage est inouïe.
Imaginez des centaines de personnes, le front suant, qui lèvent les bras en l’air, entonnent un refrain en cœur, une bière à la main et un sourire contagieux aux lèvres, puis qui esquissent plusieurs dizaines de pas entre chaque respiration.
Pendant ce temps, d’autres frottent une longue et fine baguette en bois contre le güiro pour encourager un couple de danseurs, formé le temps d’une chanson, à donner plus de « sabor »i, mot intrinsèquement lié à la salsa, à leurs déhanchés.
D’autres encore se promènent avec une campana à la main et accentuent le rythme furieux et ensorcelant qui s’échappent des enceintes.

La salsa caleña est un des types de salsa les plus techniques. Elle consiste en des mouvements, notamment de jambes, très rapides, et en des acrobaties qui rappellent le rock acrobatique.
Pour commencer à comprendre sa technicité, il faut plusieurs années de pratique et pourtant, chaque vendredi, c’est bien la même salsa caleña que tout le monde danse, jeune, vieux, touriste allemand en voyage pour deux jours dans la ville ou local aguerri aux vêtements bariolés et scintillants.
Tout le monde danse, tout le monde chante, tout le monde vit, peu importe sa classe sociale. Enfin... presque tout le monde.
Cali et la pauvreté, lancinante perturbation du développement colombien
Presque tout le monde, car malgré cette chaleur inouïe, nous sommes toujours en Colombie.
La ville de Cali, malgré sa bonne humeur débordante, fait partie de ces villes où la pauvreté gangrène ses habitants, notamment ses minorités, et leurs quotidiens, et pendant ces sessions de danse enflammées, d’autres s’affairent à ramasser les canettes d’aluminium pour les revendre ensuite, à s’immiscer dans la foule pour vendre des bonbons et des cigarettes, à attendre à la sortie de la « calle del sabor » pour demander quelques pièces aux touristes de passage.
Constamment, les sorties du vendredi ou du samedi soir m’ont rappelé que j’étais en Colombie, et particulièrement à Cali, notamment alors que la fête finissait peu à peu et que les habitants eux-mêmes me rappelaient à quel point la ville était dangereuse et qu’il valait mieux prendre un taxi pour rentrer, même pour quelques centaines de mètres.
Ces alertes, que j’ai souvent pris pour de l’exagération, ont tout de même trouvé un écho quand une amie m’a raconté sa première nuit à Cali et le vol dont elle et son ami ont été les victimes à la tombée du jour.
Cali et la suite du paradoxe colombien
Cali, je le disais, est la ville qui m'a le plus fasciné depuis le début de ce long voyage entamé il y a déjà un an et demi, et c’est en partie pour ces extrêmes, dont chaque visiteur a pu être témoin et qui l’ont sûrement amené à penser : comment faire la fête quand, à quelques mètres de moi, un homme sans chaussures, les vêtements en haillons, est effondré de fatigue dans une flaque de bière ? Comment chanter, rire, et danser quand certains vous supplient de les aider à manger, boire, survivre ?
J’ai fait la fête à Cali, je suis tombé sous le charme de cette ville où faire la fête ne coûte rien sinon l'effort d'y aller et de se mouiller pour inviter les filles à danser en retenant sa respiration pour ne pas leur marcher sur les pieds. Mais malgré les semaines que j'ai passé dans la capitale mondiale de la salsa, je n’ai toujours pas trouvé les réponses aux questions qu’elle me posait.
Peut-être n’en pourrais-je jamais trouver, ou peut-être les entenderais-je la prochaine fois, quand j’y retournerais. Car une fois qu’on est passé à Cali, il ne reste plus qu’à y repasser, encore, et encore, et encore, et encore...
i « Sabor » pourrait se traduire par « délectation » dans ce cas au sens de lâchez-prise ; d’exhortation et d'encouragement à faire des mouvements extravagants ; de sens du rythme et d’abandon dans la magie des percussions qui vous font oublier toutes choses sauf ce moment que vous vivez.
Commentez, partagez, faites connaître si vous aimez, pour que mon mon short de sport usé se transforme en jean propre puis en costume de danseur de salsa caleña flambant neuf.
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